Boycott des Jeux Olympiques: thése et rappel d'un précédent
22 mars
En 1980, suite à l’appel du Président américain Carter et à la décision de relayer cet appel prise par le Comité Olympique américain, seuls 81 pays, dont la France, ont participé aux Jeux de Moscou. Raison de cet appel au boycott, l’entrée de l’armée soviétique, l’année précédente, en Afghanistan. Et l’exil en janvier 1080 (pas la prison) à Gorki, 400 kilomètres de Moscou, d’Andreï Sakharov.
A cette époque, journaliste au Canard Enchaîné, je fus contre ce boycott et, après une longue discussion, mes collègues du Canard Enchaîné se rangèrent à mon avis. Et j’ai couvert ces Jeux de Moscou. Non pas l’aspect sportif mais tout ce qu’il y avait autour, c’est à dire la vie sociale, politique et économique de l’Union soviétique dirigée par un Léonid Brejnev vieillissant et finissant. Mon argumentation contre le boycott était simple : à cette époque, le régime soviétique était fragilisé par son immobilisme, il était possible (pour un journaliste étranger) de travailler en URSS, de rencontrer des gens, beaucoup de gens et de témoigner auprès d’eux et auprès de la population facile à rencontrer, qu’un système démocratique n’était pas une (trop) mauvaise solution. A cette époque, engourdi par la fossilisation, même le KGB n’était plus efficace et, là comme ailleurs, la suite le prouva, nombreux étaient les soviétiques qui regardaient vers l’Occident, y compris du point de vue de la mode et des comportements. De plus, culturellement, il était assez facile de prendre contact avec les habitants de Moscou et des autres villes (Tallin par exemple) où se déroulaient les Jeux. Aujourd’hui encore, je pense que la présence des Occidentaux, les journalistes et les autres, fut importante pour l’évolution du pays, évolution qui amena Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir tout juste cinq ans plus tard.
En 2008, je suis un partisan déclaré du boycott des Jeux Olympiques de Pékin. D’abord parce que le système de contrôle social et informatique de la population et de ses élites est beaucoup plus perfectionné que ne l’était la « tutelle » languissante du KGB : il suffit de se souvenir qu’en Chine le réseau Internet est bridé grâce à la coopération Google, de Yahoo et de quelques autres et qu’au mois de juin prochain, l’installation de 450 000 caméras de vidéo-surveillance sera terminée à Pékin. Une caméra pour 18 habitants et des dizaines de milliers de fonctionnaires pour scruter les écrans, pour vérifier que, selon la charte (honteuse) de l’olympisme, aucun athlète et aucun journaliste accrédité auprès du CIO ne se permettront de faire autre chose que du sport et des reportages sur le sport. Le système est parfaitement verrouillé et si la participation et l’assistance sont nombreuses, les Tibétains, les Ouïgours et bien d’autres auront été tués, réprimés ou emprisonnés pour rien. Et enfin, ce n’est pas le moins important, le fossé culturel entre les Chinois et les Occidentaux est impressionnant. Il n’existe donc qu’une solution : le boycott, ne pas y aller, ne pas cautionner et ne pas, cette fois, se gargariser de l’efficacité d’une présence.
Et que l’on vienne pas me parler de la « fête de la jeunesse » ou de la ‘fraternité du sport ». Cela ne veut rien dire pour au moins deux raisons : d’abord, différence essentielle avec les JO de Moscou, cette « fête » n’est plus qu’une fête de l’argent alors qu’il n’était alors que l’expression des nationalismes, et ensuite si les grands pays refusent le boycott, c’est essentiellement pour préserver un marché qui les fait rêver et saliver. L’indulgence de la diplomatie française sur les événements qui se déroulent au Tibet sera certainement récompensée par la commande de quelques nouveaux réacteurs nucléaires alors que, pour les JO, les Chinois détruisent une partie de leur milieu naturel.
Il n’existe donc pas moins de raisons, en 2008, de boycotter qu’en 1980 mais, curieusement, les Etats Unis et les autres (dont la France qui avait officiellement laissé le libre choix à ses athlètes en 1980) ne semble pas s’en apercevoir. Et la réaction démesurée des autorités grecques à la manifestation de Reporters sans frontière montre bien que l'Occident et la Chine ne craignent qu'une chose: que l'on casse leur jouet économiquement prometteur. D'ores et déjà, illustration de ce qui se passera au mois d'août, les journalistes qui mettent en cause les conséquences, écologiques et politiques, des Jeux sont menacés par les autorités chinoises.
Et qu’il soit bien clair que je n’étais pas plus partisan du régime soviétique que je ne le suis aujourd’hui du régime chinois.
Il sera toujours possible de ranimer la flamme de la constestation lors de son passage à Paris le 7 avril prochain...