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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

jeudi 17 mars 2011

Souvenir de journaliste, il y a pire que la guerre, il y a la radioactivité, la chose inommable

jeudi 17 mars


En direct, l’envoyé spécial de France 2, Alain de Chalvron, a dit il y a deux jours son angoisse face à la radioactivité qui arrivait ou qui pouvait arriver. Dans sa voix, pour ce journaliste qui en a vu d’autres, il y avait une tension inhabituelle. D’autres journalistes ont exprimé, sans doute malgré eux, cette peur, cette crainte d’un inconnu qu’il est impossible de voir. Etrange et révélateur de ce qui se passe. Au cours de ma carrière déjà longue, j’ai cavalé sous les bombes ou guetté les obus, les balles et les explosions à Groznyï, en Irak, à Gaza, en Géorgie, au Liban, en Afghanistan, au Bangladesh. Et ailleurs. Pour raconter la guerre et ce qu’il y avait derrière les combats. Je n’étais alors ni plus courageux ni plus glorieux qu’un couvreur qui risque tous les jours l’accident du travail s’il tombe du toit. J’y allais, parce que c’était et que cela reste mon métier : en ayant peur, avant, pendant (et surtout) et après), mais avec, toujours, l’impression que j’avais ma chance, l’illusion que je pouvais, avec un peu d’habilité et d’instinct, passer entre les gouttes. Illusion bien sur car cela revient à jouer à la roulette russe. Mais, après tout, même à ce stupide jeu russe, il y a toujours une chance. Une seule et dans la tête, ça suffit ; l’homme ou la femme qui jouent ainsi à cache-cache, y croient d’autant plus que, souvent, ça tombe ailleurs, voire sur un autre. Et puis un jour, après avoir beaucoup intrigué et collectionné les signatures d’apparatchiks soviétiques, j’ai obtenu l’autorisation, trois ans après l’accident, de descendre dans le cratère de l’explosion de Tchernobyl pour voir le réacteur fondu et tordu. Avec une photographe. Au dernier moment, j’ai renoncé, je n’ai pas osé prendre le risque, invisible, impalpable, d’aller subir une forte irradiation pendant quelques minutes ; d’affronter un danger silencieux et invisible. La photographe est descendue et a rapporté des photos fantastiques qui ont fait le tour du monde et la une des magasines. Je n’ai jamais regretté mon refus et mon rédacteur en chef de l’époque ne me l’a pas reproché, ne m’a pas reproché d’avoir raté un véritable scoop. L’atome en folie ne peut pas, ne doit pas être affronté. Sauf, comme à Tchernobyl et à Fukushima, pour tenter de sauver des vies.
C’est ce qui se passe au Japon : des reporters aguerris ne supportent pas cette menace invisible que représentent les radiations. La peur, l’angoisse prennent une autre forme, une intensité inhabituelle. Pas d’adrénaline, juste une appréhension interne profonde qui n’a ni forme, ni odeur, ni saveur. Juste quelque chose qui pénètre l’âme et le corps. Quelque chose que je ressens encore quand, comme en novembre dernier, je marche au pied du sarcophage de Tchernobyl. Comme quand j’arpente les rues désertes et silencieuses de la ville de Pripiat abandonnées par 50 000 personnes, à quelques kilomètres de la centrale accidentée. A chaque fois que j’y retourne, l’angoisse est la même dans cette Pompéi des temps modernes. Une angoisse si particulière que j’ai du mal à l’expliquer ensuite à mes proches, à des amis. C’est cela l’énergie nucléaire dont la force s’échappe –forcément- un jour : la mort invisible, la mort définitive d’une ville qui disparaît peu à peu sous la végétation. C’est, au sens strict du terme, absolument in-des-crip-tible. Comme la représentation du mal absolu, de la folie technologique qui prend des paris stupides avec le diable.
C’est tout cela que ressentent confusément beaucoup des journalistes présents au Japon alors qu’ils étaient partis couvrir un fait comme un autre : une fois sur place, ils comprennent qu’il y a autre chose, indéfinissable et quasi impossible à nommer ; oui, c’est cela finalement les radiations qui se répandent représentent l’innommable.
C’est aussi ce que commencent à ressentir les Japonais qui apparaissent dans les reportages : au delà des peurs du tremblement de terre, au delà de l’horreur du tsunami, il y a la terreur qui monte de ne pas savoir quand et comment on va être plongé dans la radioactivité : nul ne la voit arriver et même les chiffres qui défilent sur un dosimètre ne parlent pas à la conscience.
C’est cela que vivent des millions de Japonais : l’arrivée d’une peur qu’ils croyaient avoir maîtrisé depuis Hiroshima. Pourtant, hier c’était la guerre alors qu’aujourd’hui, il parait que c’est la paix.

PS Pour lire la suite des événements japonais dans un papier actualisé plusieurs fois par jour, se reporter au site politis.fr sur mon blog

4 commentaires:

Jacques a dit…

Me permets de vous proposer ceci:

http://lamauragne.blog.lemonde.fr/2011/03/20/nucleaire-lindecence-nest-surement-pas-du-cote-que-lon-croit/

Bien cordialement,

jf.

Anonyme a dit…

Il vaut mieux revenir a un mode de vie plus simple,et donc plus respectueux,et arreter de suivre aveuglement les lobby de la térreur insidieuse.

geantdefer a dit…

Euh...
Bonjour,
juste un petit mot, une question pour savoir ce qu'est devenue cette journaliste que vous n'avez pas osé accompagner face ua réaceur fondu de tchernobyl et dont les images ont fait le tour du monde... Vous avez de ses nouvelles ?

vadrot a dit…

Victoria est toujours en vie et travaille à Novaïas Gazeta, le seul journal libre et indépendant à Moscou. Elle a eu deux enfants qui ont souffert pendant des années de problémes trés compliqués d'allergies multiples. Il existe un lien évident avec l'irradiation subie pendant une trentaine de minutes. Au point qu'elle a du y retourner car les premières photos étaient voilées par le rayonnement. Elle a recommencé en protégeant mieux son appareil (pas de numérique à cette époque, que de la pellicule)