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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

dimanche 13 février 2011

Roses de la Saint-Valentin: bons baisers du Kenya

Dimanche 13 Février 2011

95 % des roses achetées aujourd’hui pour sacrifier à la sollicitation commerciale de la fête des amoureux proviennent du Kenya. Ou d’Equateur, de Colombie ou d’Ethiopie. Toutes produites par des ouvriers ou ouvrières payés chaque semaine d’à peine le prix d’un bouquet en France...
Toutes ces roses fraîches sont arrivées vendredi ou samedi par avion. Avant de repartir pour la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne, les Etats Unis ou la Russie elles ont transité par l’aéroport de Schiphol aux Pays Bas. Vendredi, les avions venus des quatre coins du monde ont livrés prés de 30 millions de roses immédiatement achetées aux enchères par des mandataires les re-expédiant immédiatement par avion pour leur mise en vente.
Ce commerce entraîne évidemment un fantastique gaspillage d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre et, au passage, ruine au prix d’une aberration écologique, les rares producteurs de roses. Mais ce n’est pas tout...
Les trois quarts des exploitations de roses kenyanes se trouvent dans les environs du Lac Naivasha, où elles couvrent environ 5000 hectares. Ce lac, situé à 1 800 m d’altitude, est l’un des plus hauts de la Rift Valley. Autour de lui se concentrent les « élevages » industriels de roses. Comme beaucoup de rivières et de nappes phréatiques de la région, le lac est donc de plus en plus pollué par les pesticides, engrais et autres produits destinés à nettoyer et désinfecter les sols avant la plantation de nouveaux rosiers à la vie éphémère, mourant de surproduction. Cette pollution est encore accrue par les pompages d’eau qui font baisser le niveau du lac et y augmentent par conséquent la concentration de produits nocifs, produits s’accumulant également dans les puits des agriculteurs de la région. Quant aux pêcheurs, ils se plaignent de prendre de moins en moins de poissons et en rendent responsables les industriels de la rose : le lac est envahi de jacinthes d’eau, la plaie de l’Afrique car elles entraînent l’eutrophisation des fleuves et des lacs, manque d’oxygène qui nuit à beaucoup de poissons dont se nourrissent les populations. Souvent, après des nettoyages dont les rejets atteignent le lac en quantités importantes, des vaches laissées imprudemment près du bord du lac pollué, meurent après avoir trop bu de ces eaux empoisonnées. D’après des écologistes locaux et des organisations non gouvermentales, le lac pourrait ne plus être qu’un cloaque boueux dans une quinzaine d’années. Il est pourtant théoriquement protégé depuis 1995 par la Convention internationale Ramsar qui veille sur les plus belles zones humides du monde. Mais cela ne préoccupe guère les autorités et les industriels de l’horticulture.
Un rapport du « Conseil des Canadiens » publié en 2009 par The Ecologist, la revue environnementale créée il y a 40 ans par Teddy Goldsmith en Grande Bretagne, relate une mission entreprise par ses scientifiques autour du lac. Les conclusions apparaissent sans appel : « Les quelque 30 grandes exploitations de fleurs installées autour du lac posent un grand nombre de problèmes écologiques à cette région, à son lac et à ses rivières. Notamment en ce qui concerne la perte d’eau, l’accroissement de la population attirée par les emplois et l’utilisation intensive de pesticides et de fertilisants (...) Nous avons remarqué des canalisations qui pompent l’eau du lac vers les serres et des fossés d’écoulement qui envoient des eaux polluées vers le lac (...) Les bords du lac ont peu à peu été privatisés par les propriétaires des fermes et la population d’origine, notamment les Massaïs, est peu à peu repoussée plus loin, ne disposant plus que d’un accès restreint aux eaux du lac pour leurs troupeaux, dans un petit espace où les femmes lavent leurs linges et ou survivent des hippopotames et des flamants roses (...) La situation est simple : sans eau, plus de cultures de roses et les fermes horticoles la pompent sans la moindre restriction. En fait, explique l’un des responsables des systèmes de surveillance de l’eau de la région, Severino Maitama, comme les roses sont constituées à 90 % d’eau, c’est notre eau que ces sociétés exportent alors que nous sommes l’un des pays les plus secs de la région (...) Les eaux du lac sont déjà à un niveau inférieur de plus de trois mètres à ce qu’il était dans les années 80 (...) Avant, le lac Naivasha était l’un des dix sites mondiaux réputés pour sa richesse en oiseaux avec 350 espèces répertoriées. Il était aussi renommé pour ses eaux claires, pour les papyrus et pour les lys qui poussaient sur ses rives. La plus grande partie de la végétation a disparu. (...) Au cours des deux dernières années le nombre des hippopotames a diminué de plus d’un quart à cause de la baisse du niveau de l’eau. Leur nombre n’est plus que d’un millier. (....) David Herper, professeur à l’Université de Leicester et responsable depuis 17 ans de l’association Earthwatch dénonce cette situation : « Tous ceux qui, en Europe, ont mangé des fraises et des haricots verts du Kenya et admiré les roses de ce pays ont acheté de l’eau du Naivasha. Il se transformera en un étang boueux et nauséabond, avec des communautés humaines appauvries vivant difficilement sur ses rives dénudées. Les insupportables prélèvements d’eau pour les besoins agricoles et horticoles sont en train d’assécher ce lac. Au fur et à mesure que sa surface et sa profondeur se réduiront, il se réchauffera, entraînant la prolifération de micro-algues. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que ce lac devienne toxique (...)
La population est passée de 7000 en 1969 à 300 000 en 2007. En attirant tant de gens, les sociétés internationales d’horticulture ont créé un fardeau écologiquement insupportable pour le lac. Les gens utilisent et polluent l’eau pour vivre, ils braconnent pour se procurer de la viande. Ils vont de plus en plus loin pour se procurer du bois et fabriquer du charbon de bois. Un arbre de cinquante ans fournit environ cinquante sacs de charbon de bois et une famille utilise quotidiennement un sac. Mais il n’y a aucun effort de reforestation et les gens vont maintenant jusque sur les bords du Lac Victoria chercher du bois, ce qui déstabilise les apports d’eau et entraîne un apport supplémentaire de sédiments dans le lac en raison de l’érosion (....) Il n’existe aucune réglementation légale pour organiser l’utilisation de l’eau du lac Naivasha. Les associations des fermes horticoles ont édicté leur propre loi basée sur une autorégulation…».
Et les mêmes remarques sur les atteintes à la santé des salariés, sur leur exploitation vaut également pour les autres pays du sud où se cultivent ces roses et bien d’autres fleurs dont l’origine n’est jamais indiquée chez les fleuristes. Ce qui est contraire à la loi...