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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

mardi 24 avril 2012

Jean Ferrat, la démocratie, le Front national et l'écologie

MARDI 24 AVRIL

C’était après une élection, il y a quelques années. Bavardant pour un interview qui s’égarait comme à l’ordinaire bien loin des chansons et de la musique, Jean Ferrat me montra d’un geste Antraigues-sur-Volane, 580 habitants au coeur de l’Ardèche où il fut un temps l’adjoint du maire communiste, en commentant un récent score du Front National qui venait de rassembler 8% des voix dans son village : « Tu vois, je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe, ce pourcentage me dépasse. Ici, on n’a pas vu un étranger depuis des années, il n’y a pas de délinquance en dehors de quelques braconnages qui font sourire tout le monde. Alors pourquoi certains des gens que je croise tous les jours, peut-être un de ceux avec qui je joue aux boules, votent pour ces gens ? Maintenant, dans la rue, quand je vais au bistrot, je me surprends à me demander si la personne que je rencontre a voté pour le FN ». Au delà de son incompréhension perçait une sorte de chagrin. Dimanche dernier, à Antraigues où il n’y a toujours ni étranger, ni « assisté » ni délinquant, la candidate du Front National a recueilli 14, 32% des suffrages. Que Mélenchon y ait réuni 33 % des voix ne change pas cette donnée...
A Gien, la ville de 15 000 habitants du Loiret, où je passe trois jours par semaine, le FN a bondit jusqu’à 24 % des suffrages. Dix points de plus qu’en 2007. Dans les rues je regarde les passants en me demandant qui, parmi tous ceux que je connais, a voté pour Marine Le Pen. Peut-être ceux qui, tous les ans, à cette période, dénoncent le rassemblement de quelques milliers de Tziganes évangélistes dans leur immense propriété voisine cernée par les gendarmes mobiles dont les cars stationnent le long de la Loire. Quinze jours de suspicion envers les méfaits supposés des « voleurs de poules » alors que les statistiques de la gendarmerie n’enregistrent pas plus de délits à cette période de l’année que pendant les autres mois. Mais l’explication est un peu courte. Dans les conversations, les mêmes que celles que Ferrat entendait à Antraigues, revient une autre justification : « avec tout ce que l’on voit à la télé... ». Comme si une partie de la France avait voté contre les images du miroir déformant de la télévision. Mais cela ne suffit toujours pas comme analyse...
Comme si, au delà de toutes les savantes explications, la France était bel et bien touchée par une peste brune qui s’étend dans les terra incognita de la ruralité et des banlieues pavillonnaires cernées par des supermarchés ayant effacé les centres des petites villes et des bourgades, conduit à la faillite les derniers commerçants. Les savants politologues et sociologues du cirque médiatique, évoquent les « souffrances », le « sentiment d’insécurité », la « désertification », la « disparition des services publics » pour justifier cette désespérante poussée vers l’extrême droite, vers le refus des autres, le refus des différences. Par des gens qui exhalent leurs haines aux comptoirs des bistrots en colportant les pires insanités sur ceux « qui ne veulent pas travailler ». Dans une cité qui compte officiellement 9 % de chômeurs et un nombre mal défini de salariés à temps partiel. Ceux qui viennent, une fois par semaine, s’approvisionner au Jardin du Coeur, par exemple, après avoir suivi de dernier épisode des « Feux de l’Amour » sur TF1.
L’impression que le mal n’est plus curable, qu’il n’existe pas de bonnes solutions pour montrer à un quart des habitants que le glissement vers le fascisme populaire ne sera jamais un véritable remède. Et je pense de nouveau à l’amertume de Jean Ferrat face au mal qui rongeait déjà Antraigues il y a quelques années.
J’entends aussi tous ceux qui expliquent qu’il ne faut pas « stigmatiser » les électeurs du Front national qui rejoignent ceux de Nicolas Sarkozy dans la dénonciation de l’ « assistanat » et de l’ « insécurité ». Comme si la fascisation de la société n’était pas un mal profond qui nous menace tous et que l’on pourrait parait-il guérir par des patrouilles de gendarmerie. Que dire ou que faire quand des jeunes expliquent dans le centre ville désert ou au pied des immeubles qu’ils ne font aucune différence entre la droite et la gauche ? Sinon désespérer. Que dire ou que faire quand les clients du seul magasin bio de la commune, se précipitent vers les rayons bio des grandes surface ? Sinon désespérer, sinon commencer à se poser des questions sur l’exercice de la démocratie ?
Les deux candidats restant en compétition se précipitent au devant des récriminations de la part fascisante de la population française. L’un ouvertement parce qu’il s’agit de son fond de commerce depuis des années et qu’il a contribué à fasciser des esprits, l’autre hypocritement parce qu’il y a là quelques voix de secours à glaner. Comme dans une lettre de solidarité et de soutien que François Hollande a adressé quatre jours avant le premier tour à la Fédération nationale des chasseurs.
Pas un seul des candidats rescapés ne s’alarme de l’échec des écologistes à cette élection présidentielle. Certes leur candidate a été la pire depuis 1974 et n’a jamais été capable d’expliquer les périls courus par la planète face aux dégradations et aux pollutions ni les bienfaits d’une transition vers une société plus respectueuse des équilibres naturels, plus soucieuse des ressources naturelles et de la biodiversité. Mais cela n’explique pas tout, il s’en faut de beaucoup. Alors qu’il parait plus urgent de sauver notre environnement, en France et ailleurs, que de cavaler après la part grandissante de la population tentée par le fascisme et un régime fort à la hongroise. De quoi encore avoir des doutes sur l’exercice d’une démocratie qui privilégie le court terme.
François Hollande sera probablement élu et j’y contribuerais faute de mieux. Mais que pourra-t-il faire ensuite face aux aspirations d’un corps social flatté dans ces rejets fascisants et xénophobes tout comme dans son ignorance soigneusement organisée de l’urgence écologique ?
Nicolas Sarkozy aura réussi, au delà d’un échec probable à fasciser un pays.
Désespérant...

mardi 10 avril 2012

Les écolosceptiques aux pouvoirs

Mardi 10 avril



Il est de bon ton d’imputer à Eva Joly et aux errements d’Europe-Ecologie-les Verts, la disparition des préoccupations écologiques du discours des présidentiables et des soucis de l’opinion publique. Certes, le choix de la candidate verte n’a pas été le meilleur car même une excellente magistrate n’apprend pas l’écologie en quelques mois. Mais cela ne suffit pas, il s’en faut de beaucoup, à expliquer ce retour en arrière qui ne présage rien de bon pour la France, pour l’Europe et pour la planète. Il est donc plus que jamais nécessaire d’y voir le résultat des efforts des écolosceptiques pour pousser la poussière écologique sous le tapis : en profitant évidemment des inquiétudes d’une partie grandissant de la population qui se retrouve sous le seuil de pauvreté, se battant quotidiennement pour survivre tout en craignant le chômage et le déclassement.
A ceux-là comme à tous les autres français, les Claude Allègre, les Pascal Bruckner, Christian Gérondeau ou Jean de Kervasdoué (et j’en oublie...) ont expliqué depuis deux ans, sans trouver beaucoup de contradicteurs dans les médias que l’écologie était un luxe et un leurre. Ils ont conjugué à tous les temps et sur tous les tons leurs refrains rassurants répétant que l’agriculture bio n’était qu’une fantaisie de bobos, que les angoisses climatiques se rimaient à rien, que les pollutions ne comportaient guère de danger, que la banquise ne fondait pas tant que cela, que l’alimentation était plus saine qu’autrefois, que les OGM constituaient une chance pour l’Humanité, qu’il n’existait pas d’alternative au nucléaire, que les éoliennes hachaient menu les oiseaux ou faisaient tourner le lait des vaches, que la baisse de la biodiversité était une invention ou que les sols ne se dégradaient pas. Un vrai festival d’imprécations, de mensonges et de négations qui a fini par produire ses effets. Auprès d’une opinion publique toujours prompte à brûler ce qu’elle a adoré et à se rassure de ne pas avoir à changer ses modes de consommation, auprès de la presse soucieuse de faire de beaux titres grâce à ces nouveaux imprécateurs du « tout va bien » ; et évidemment auprès des politiques heureux de trouver de bonnes et nouvelles raisons de ne rien dire, surtout de ne rien faire et de ne pas changer les termes de l’économie et de la consommation.
Les nouveaux imprécateurs ont répété sur tous les tons, comme leurs semblables américains auprès desquels ils puisent leur inspiration sponsorisée par les lobbies industriels, que se préoccuper de l’écologie revenait à s’opposer à la science, au modernisme et à la nécessaire marche du monde vers le progrès. Avec les mêmes arguments que les scientistes de la fin du XIX éme siécle. Une antienne reprise depuis des années par Jacques Attali mettant son aura de premier de la classe au service de ce nouveau « négationnisme » depuis qu’il a réclamé au président de la République la suppression de la constitution du « Principe de Précaution ». Un président qui a relayé cette offensive avec sa célèbre affirmation devant les agriculteurs : « L’environnement, cela suffit » ou en renvoyant aux écologistes partisans d’une sortie progressive du nucléaire le spectre d’une société s’éclairant à la bougie. Les parlementaires de droite, aux prises avec le mouvement associatif qui réclame au contraire de plus en plus de précautions, l’a suivi en détricotant patiemment le peu qui restait du Grenelle de l’Environnement. Sans susciter autre chose que des protestation polies de la gauche.
Tous font semblant de croire que l’écologie s’oppose à la science, alors qu’il s’agit évidemment du contraire. Tous font semblant de ne pas comprendre que les écologistes et les naturalistes se sont battus et se battent encore contre les bateleurs de l’écoloscepticisme pour améliorer notre vie quotidienne et notre santé ; tout en se préoccupant de la beauté et de la (bio)diversité du territoire et de la planète. Les écologistes refusent notre égoïsme de nantis.
Si toutes les préoccupations écologiques avaient disparu de la conscience des Français, comment expliquer qu’en dépit des obstacles, ils soient de plus en plus nombreux à se jeter sur leurs potagers et les jardin partagés tout comme sur les moyens, comme les AMAP, qui leur permettent, riche ou pauvres, de se nourrir autrement ? Comme s’ils réalisaient confusément que l’écologie était une nouvelle forme de la lutte des classes.
Mais dans les coulisses des pouvoirs et les cercles des prophètes de l’économie, les écolosceptiques veillent depuis des années pour railler toutes ces nouvelles aspirations. Il est grave qu’ils aient en partie réussi à pousser les politiques et une part de l’opinion publique à repousser les urgences écologiques à plus tard.