Nucléaire au Japon: les dernières nouvelles de la situation
Lundi 14 mars
Après les explosions survenues samedi matin et lundi matin, heure du Japon, la situation parait s’aggraver d’heure en heure dans les réacteurs numéro 1, numéro 2 et numéro 3 de la centrale de Kukushima Daiichi. Et trois réacteurs de la centrale de Kukushima Daini, un peu plus au sud ne sont toujours pas correctement refroidis ; tout comme les trois réacteurs, du même modèle, de la centrale d’Onagawa, un peu plus au Nord. En tout onze réacteurs du Nord-Est du pays, donnent toujours des soucis aux ingénieurs après avoir été arrêtés brutalement au moment du tremblement de terre. Les autorités japonaises, qui comme toujours en pareilles circonstances, ont commencé par diffuser des informations rassurantes, ne savent pas ou n’ont pas voulu préciser si les explosions qui ont soufflé les bâtiments réacteur numéro 1 samedi et lundi ont également détruit ou endommagé l’enceinte de protection du réacteur, chape de béton destinée à retenir toutes les émanations et particules radioactives. L’existence de cette énorme cloche de confinement est d’ailleurs ce qui différencie le réacteur accidenté de Tchernobyl des réacteurs japonais ou français.
L’élévation progressive de la teneur en radioactivité relevée dans la région par des journalistes et des écologistes japonais, les ordres d’évacuation (pour 230 000 personnes) donnés à la population dans une zone de 20 kilomètres qui pourrait être rapidement élargie, laisse présager qu’il existe au moins des fissures dans les enceintes, n’en déplaise aux "docteurs tant mieux" du Japon et de France. Mais la pagaille et les embouteillages qui se sont amplifiés tout le week end sur les voies menant vers le sud, la pénurie d’essence notamment liée à l’absence d’électricité, et aussi le manque de train, font hésiter les autorités japonaises : elles ne savent plus quoi faire des évacués qui courent le risque d’être rejoints sur les routes souvent coupées ou privées de ponts, par une plus forte vague de radioactivité. Des évacués qui s’ajoutent à ceux qui ont perdu leurs maisons et ont pris la route vers la capitale. Alors que la radioactivité mesurée lundi en début d’après midi (heure du Japon) par des volontaires appartenant à des organisations d’écologistes continue d’augmenter. Elle change d’ailleurs au gré du vent qui souffle du nord-ouest mais reste très faible (12 kilomètres heure). Ce qui favorise les retombées sur la région : toute la radioactivité ne s’évacue donc pas vers l’Est et le Pacifique. Une preuve : dans l’ensemble de la province de Miyagi où se trouvent les centrales, et loin vers le sud, à 100 Kms de la centrale, la radioactivité était dimanche après-midi entre 400 et 500 fois supérieure à la normale et elle a atteint des batiments militaires américains qui croisent au sud de la zone. Les pluies ou la neige prévues pour mardi et mercredi auront d’ailleurs comme résultat de fixer les pollutions au sol en le contaminant pour des années. Dans cette région agricole, les cultures risquent d’être longtemps impossibles en raison de la contamination du riz et des produits maraîchers.
Les chiffres actuellement disponibles pour l’extérieur de la centrale indiquent qu’en une journée, un habitant présent à moins de cinq kilomètres reçoit, en particules et en teneur radioactives, l’équivalent d’une dose 24 fois supérieure à celle autorisée aux travailleurs du nucléaire en un an. Ce qui confirme que un ou plusieurs coeurs de réacteurs ont commencé leur entrée en fusion et que plusieurs autres relâchent de la vapeur radioactive. Soit sous l’action des ingénieurs cherchant à faire baisser les pressions, soit en raison de fissures non maîtrisées. Tout cela faute de refroidissement après l’arrêt provoqué par le tremblement de terre. Il s’agit, comme pour les autres réacteurs en difficulté, d’un arrêt automatique. Lequel « secoue » toujours gravement l’ensemble des équipements de production et surtout de contrôle. Les conséquences en sont alors d’autant plus graves que pour ces réacteur comme pour huit autres ayant subi ce type de choc, le refroidissement n’a pas pu être assuré correctement ou pas assuré du tout. Faute d’alimentation électrique : un réacteur, lorsqu’il ne produit plus d’électricité doit être alimentée par des lignes extérieures. Lesquelles ont été coupées ou détruites par le séisme alors que les équipements de secours n’ont pas toujours fonctionné correctement.
Le refroidissement est indispensable, tout simplement parce qu’après un arrêt d’urgence un réacteur continue à dégager environ 10 % de la chaleur et de la puissance nominale qui est de 520 Mégawatts pour le modèle de Kukushima. Evaluation qui n’a plus de sens quand un réacteur, faute de refroidissement, commence à s’emballer et à échapper au contrôle : faute d’eau et de liquide réfrigérant, les barres d’uranium restent en grande partie à l’air libre, produisant notamment de l’hydrogène (radioactif) qui peut exploser d’un moment à l’autre. Au moins quatre autres réacteurs connaissent également des difficultés, de moindre ampleur, parce que les générateurs de secours n’ont pas fourni à temps la puissance électrique nécessaire au maintien du refroidissement et au fonctionnement des trois autres salle de contrôle en charge chacune, comme en France, de deux réacteurs.
La situation nucléaire au Japon, ne concerne pas onze centrales comme il a été souvent écrit ou dit depuis vendredi, mais seulement onze réacteurs répartis dans trois centrales situées sur la côte Est du Japon qui se trouve être proche de l’épicentre du tremblement de terre. Il s’agit pour l’instant de la centrale de la centrale de Kukushima Daïichi avec six réacteurs, de la centrale de Fukushima Daini avec 4 réacteurs et celle de Onagawa, un plus au nord, où fonctionnent 3 réacteurs. Il n’y a pas d’informations fiables sur la situation de la centrale de Tokai, au sud, où un seul réacteur, mis en service en 1976, était sous tension au moment du séisme. Le Japon compte actuellement 55 réacteurs en fonctionnement répartis dans 17 centrales. Ils assurent environ 35 % de l’électricité consommée dans le pays. L’essentiel du parc nucléaire est composé de 33 réacteurs à eau bouillante connu sous le sigle REB en français ou BWR en anglais car il s’agit d’une technologie américaine. Ils sont prioritairement en service aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suède, en Finlande et aussi en Russie. En France, EDF utilise exclusivement des réacteurs à eau pressurisée, mais la technologie –et donc les risques éventuels en cas d’incident ou d’accident- n’est pas fondamentalement différente.
Le combustible, de l’uranium enrichi, utilisé dans les réacteurs japonais à eau bouillante est à peu de chose le même et sous une forme identique que dans les réacteurs en service en France. Mais dans les réacteurs à eau bouillante, comme souvent pour la filière française, le combustible est ce que l’on appelle du MOX, c’est à dire un mélange d’uranium et de plutonium. Caractéristique problématique en cas d’accident et de rejet dans l’atmosphère, car à la radioactivité s’ajoute le danger d’ingérer des particules de plutonium qui induisent automatiquement des cancers à des doses infinitésimales.
Une différence importante entre les deux filières : il n’y a qu’un seul circuit primaire de circulation d’eau dans les REB, ce qui peut-être considéré comme une fragilisation supplémentaire en cas d’incident ou d’accident. Notamment parce que l’envoi en « recirculation » de l’eau et la séparation de la vapeur envoyée pour faire tourner les turbines sont plus compliquées et exigent plus de rigueur dans la surveillance du fonctionnement que dans les réacteurs français. D’où la gravité des incidents d’accès aux approvisionnements en eau froide en cas de perte de puissance électrique. Le choix entre les deux filières est induit par deux considération : la première est politique puisque les réacteur REB sont américains et la seconde est économique puisqu’ils coûtent moins cher à la construction.
Lorsque les autorités de sûreté nucléaire française expliquent qu’elles vont prendre des mesures en France, cela confine au ridicule technique : l’Europe n’est pas menacée par l’accident ou les accidents en cours au Japon. Il ne s’agit donc que d’une gesticulation politique gâchée par Eric Besson qui a perdu une occasion de se taire en niant qu’il s’agisse d’une catastrophe et en annonçant une incident de niveau 4 alors que le niveau des accidents est seulement fixé plusieurs semaines après la phase critique. Mais quand les spécialistes français signalent la grande compétence des ingénieurs nucléaires japonais, il sont dans le vrai car ils sont probablement meilleurs que les Français. Mais, dans leurs scenarii les plus pessimistes, ils n’avaient jamais envisagé une telle accumulation d’incidents. Ils s’avouent désormais dépassés par les événements et ne compte plus que sur la chance pour éviter une catastrophe majeure. Mais comme les ingénieurs et techniciens de Tchernobyl, ils prennent depuis vendredi des risques terribles, malgré les combinaisons et des courts séjours ne dépassant pas trois minutes, au cours de leurs interventions dans des bâtiments saturés de radioactivité.
Avec mes remerciements pour son aide à mon confrére japonais Hitoshi Kadowaki
Post-Scriptum
Pour ceux qui veulent comprendre exactement ce qui se passe dans un réacteur brutalement arrêté (comme si on coupait le contact sur une voiture roulant à 130 km/h ou dans le cas d’un freinage d’urgence d’un TGV), je renvoie le lecteur à mon livre de fiction "Inéluctable, le roman d’un accident nucléaire en France" qui met en scène les questions techniques et politiques, notamment sur la question de la dissimulation des informations importantes
Encadré
Mon correspondant au Japon, un journaliste spécialisé, me signale l’aggravation de la situation et aussi un autre probléme : faute d’électricité, la plupart des habitants de la zone menacée et jusqu’à 150 kilomètres vers le sud et vers le nord, ne peuvent plus être alertés par la radio et la télévision et n’ont plus accès à Internet. Ils ne peuvent plus être informés en temps réel. D’autre part il apparait que, cauchemar de tous ceux qui simulent des opérations d’évacuation, les routes sont souvent totalement paralysées par ceux qui tentent de s’enfuir vers le sud. Car les destructions de voies ferrées et le manque d’électricité ont considérablement réduit la circulation des trains. Et, en plus, il n’y a pratiquement plus d’essence dans la région....
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