Jean Ferrat, la démocratie, le Front national et l'écologie
MARDI 24 AVRIL
C’était après une élection, il y a quelques années. Bavardant pour un interview qui s’égarait comme à l’ordinaire bien loin des chansons et de la musique, Jean Ferrat me montra d’un geste Antraigues-sur-Volane, 580 habitants au coeur de l’Ardèche où il fut un temps l’adjoint du maire communiste, en commentant un récent score du Front National qui venait de rassembler 8% des voix dans son village : « Tu vois, je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe, ce pourcentage me dépasse. Ici, on n’a pas vu un étranger depuis des années, il n’y a pas de délinquance en dehors de quelques braconnages qui font sourire tout le monde. Alors pourquoi certains des gens que je croise tous les jours, peut-être un de ceux avec qui je joue aux boules, votent pour ces gens ? Maintenant, dans la rue, quand je vais au bistrot, je me surprends à me demander si la personne que je rencontre a voté pour le FN ». Au delà de son incompréhension perçait une sorte de chagrin. Dimanche dernier, à Antraigues où il n’y a toujours ni étranger, ni « assisté » ni délinquant, la candidate du Front National a recueilli 14, 32% des suffrages. Que Mélenchon y ait réuni 33 % des voix ne change pas cette donnée...
A Gien, la ville de 15 000 habitants du Loiret, où je passe trois jours par semaine, le FN a bondit jusqu’à 24 % des suffrages. Dix points de plus qu’en 2007. Dans les rues je regarde les passants en me demandant qui, parmi tous ceux que je connais, a voté pour Marine Le Pen. Peut-être ceux qui, tous les ans, à cette période, dénoncent le rassemblement de quelques milliers de Tziganes évangélistes dans leur immense propriété voisine cernée par les gendarmes mobiles dont les cars stationnent le long de la Loire. Quinze jours de suspicion envers les méfaits supposés des « voleurs de poules » alors que les statistiques de la gendarmerie n’enregistrent pas plus de délits à cette période de l’année que pendant les autres mois. Mais l’explication est un peu courte. Dans les conversations, les mêmes que celles que Ferrat entendait à Antraigues, revient une autre justification : « avec tout ce que l’on voit à la télé... ». Comme si une partie de la France avait voté contre les images du miroir déformant de la télévision. Mais cela ne suffit toujours pas comme analyse...
Comme si, au delà de toutes les savantes explications, la France était bel et bien touchée par une peste brune qui s’étend dans les terra incognita de la ruralité et des banlieues pavillonnaires cernées par des supermarchés ayant effacé les centres des petites villes et des bourgades, conduit à la faillite les derniers commerçants. Les savants politologues et sociologues du cirque médiatique, évoquent les « souffrances », le « sentiment d’insécurité », la « désertification », la « disparition des services publics » pour justifier cette désespérante poussée vers l’extrême droite, vers le refus des autres, le refus des différences. Par des gens qui exhalent leurs haines aux comptoirs des bistrots en colportant les pires insanités sur ceux « qui ne veulent pas travailler ». Dans une cité qui compte officiellement 9 % de chômeurs et un nombre mal défini de salariés à temps partiel. Ceux qui viennent, une fois par semaine, s’approvisionner au Jardin du Coeur, par exemple, après avoir suivi de dernier épisode des « Feux de l’Amour » sur TF1.
L’impression que le mal n’est plus curable, qu’il n’existe pas de bonnes solutions pour montrer à un quart des habitants que le glissement vers le fascisme populaire ne sera jamais un véritable remède. Et je pense de nouveau à l’amertume de Jean Ferrat face au mal qui rongeait déjà Antraigues il y a quelques années.
J’entends aussi tous ceux qui expliquent qu’il ne faut pas « stigmatiser » les électeurs du Front national qui rejoignent ceux de Nicolas Sarkozy dans la dénonciation de l’ « assistanat » et de l’ « insécurité ». Comme si la fascisation de la société n’était pas un mal profond qui nous menace tous et que l’on pourrait parait-il guérir par des patrouilles de gendarmerie. Que dire ou que faire quand des jeunes expliquent dans le centre ville désert ou au pied des immeubles qu’ils ne font aucune différence entre la droite et la gauche ? Sinon désespérer. Que dire ou que faire quand les clients du seul magasin bio de la commune, se précipitent vers les rayons bio des grandes surface ? Sinon désespérer, sinon commencer à se poser des questions sur l’exercice de la démocratie ?
Les deux candidats restant en compétition se précipitent au devant des récriminations de la part fascisante de la population française. L’un ouvertement parce qu’il s’agit de son fond de commerce depuis des années et qu’il a contribué à fasciser des esprits, l’autre hypocritement parce qu’il y a là quelques voix de secours à glaner. Comme dans une lettre de solidarité et de soutien que François Hollande a adressé quatre jours avant le premier tour à la Fédération nationale des chasseurs.
Pas un seul des candidats rescapés ne s’alarme de l’échec des écologistes à cette élection présidentielle. Certes leur candidate a été la pire depuis 1974 et n’a jamais été capable d’expliquer les périls courus par la planète face aux dégradations et aux pollutions ni les bienfaits d’une transition vers une société plus respectueuse des équilibres naturels, plus soucieuse des ressources naturelles et de la biodiversité. Mais cela n’explique pas tout, il s’en faut de beaucoup. Alors qu’il parait plus urgent de sauver notre environnement, en France et ailleurs, que de cavaler après la part grandissante de la population tentée par le fascisme et un régime fort à la hongroise. De quoi encore avoir des doutes sur l’exercice d’une démocratie qui privilégie le court terme.
François Hollande sera probablement élu et j’y contribuerais faute de mieux. Mais que pourra-t-il faire ensuite face aux aspirations d’un corps social flatté dans ces rejets fascisants et xénophobes tout comme dans son ignorance soigneusement organisée de l’urgence écologique ?
Nicolas Sarkozy aura réussi, au delà d’un échec probable à fasciser un pays.
Désespérant...
3 commentaires:
Fascisants, xénophobes, ignorants de l'urgence écologique. Ah bravo pour les amalgames réducteurs et dépréciatifs ! Vous oubliez seulement quelques points de détails, comme le fait que les politiques de Sarkosy de Hollande et de tous les soumis aux dictats des commisaires européens (hauts fonctionnaires non élus qui n'ont pas de comptes à rendre au peuple) et des réglementations en tous genres sont ceux-là même qui vont nous obliger à cultiver des OGMs et à adopter des reglementations laxistes en terme d'écologie. Si vous étiez honnête vous diriez que pour pouvoir avoir une politique française libre et donc par exemple plus respectueuse de la nature, il faut un pays souverain monétairement, militairement et politiquement. C'est plus facile de colporter le message dominant les médias. Bravo pour votre courage dans la critique !
Vous avez oublié une proposition: la France devrait revenir à l'écu ou à la livre tournoi...
Le malheur est que trop de gens, par crainte, xénophobie et ignorance ont prêté attentions aux mensonges et délires de Martine Le Pen aujourd'hui repris par Nicolas Sarkozy
@Bertrand: si vous vouliez simplement rendre à la France sa capacité à négocier face à ses partenaires européens, vous pouviez voter Front de Gauche ou même Dupont Aignan.
La seule "valeur ajoutée" spécifique au FN, c'est le racisme.
donc oui, les électeurs FN sont des fachos. Font-ils, comme Monsieur Jourdain, du fascisme sans le savoir? C'est encore plus grave.
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