Fin en demie-teinte d'une conférence climatique trop virtuelle pour être honnête
Vendredi 7 décembre, 20 h, heure locale
Jusqu’au
bout les couloirs de la conférence climatique de Doha, ont bruissé de rumeurs
et d’informations plus ou moins vérifiables. Ce n’est évidemment pas une
première pour une conférence internationale de cette ampleur. Mais cette année,
une grande nouveauté : les textes imprimés ont totalement disparu !
Les Nations Unies et les responsables Qataris ont formellement interdit toute
distribution de communiqués, de textes et de brochures. Les délégations ou les
(rares) ONG présentes qui avaient outrepassé cet ukase le premier jour ont été
menacées de représailles voire de retrait de leurs accréditations. Pierre Radanne, ancien directeur de l’Ademe
et aujourd’hui responsable de l’agence Facteur
4 qui conseille de nombreux pays africains émergents, a ainsi été
interpellé par deux policiers des Nations Unies parce qu’il glissait dans les
boites à lettres des délégations une « note
de décryptage » présentant en 90 pages les enjeux de Doha. Un document
en anglais ou en français qu’il distribue depuis des années et est très
apprécié par les scientifiques et des politiques du climat. Il a fallu
l’intervention d’un haut responsable des Nations Unies pour qu’il soit exceptionnellement
autorisé à distribuer une centaine d’exemplaire de son étude.
Plus de
papiers, donc, sur les tables, sur les comptoirs ou dans les présentoirs. Les
prises de position, les discours, les communiqués, les explications, les lieux
de réunion, les annonces de conférence de presse, les appels, les protestations
ont disparu dans le gouffre insondable d’Internet. Explication avancée par les
organisateurs : économie de papier. Inutile de leur rappeler que le papier
est recyclable et que cette « économie » parait dérisoire dans
l’énorme palais des congrès dont les milliers de mètres carrés sont en
permanence climatisés. Manifestement les services de communication des Nations
Unies sont enchantés par leur idée et râlent si on leur parle de Green Washing.
Donc, pour
les délégations, pour les participants, pour la presse, pour les représentants
de la société civile, il ne reste plus que la rumeur ou d’erratiques messages
Internet. Plus invérifiable que les papiers distribués et facilement censurable.
Les responsables de l’ONU se récrient : « mais tout se trouve sur Internet ! Vous nous faites un procès moyenâgeux,
il faut vivre avec notre temps ». Certes... Mais le moindre écrit,
offert aux passants de cette agora climatique, avait ses chances d’être lu, de
produire ses effets. Le discours du plus méconnu des chefs d’Etat ou de
gouvernement pouvait, à tête reposée, intéresser, offrir une idée originale ou
une solution. Les communiqués pouvaient faire réfléchir. Tous ces messages
gisent désormais dans un puits sans fond dans lequel les recherches
d’informations sont soit épuisantes, soit vouées à l’échec.
Le
fonctionnement d’une conférence sur le climat est donc devenu virtuel et les
textes se croisent sur la Toile pratiquement sans se rencontrer. D’abord parce
que personne ne sait vraiment où les trouver et aussi parce que nul ne sait à
qui les envoyer. La COP 18, puisque tel est son nom, est à la fois sourde et
quasiment muette. Penser qu’il puisse s’agir d’une bonne solution pour écarter
toutes les opinions divergentes, relève évidemment de la mauvaise foi
journaliste. Pourtant, depuis qu’ils sont arrivés ici, les journalistes et les
participants naviguent dans le noir. Quand aux ONG, en dehors des grands noms associatifs
« embedded » dans la grande machine onusienne qui les réduit au rôle
de courroies de transmission des idées reçues et des pressions diplomatiques,
elles sont également sourdes et muettes. Elles sont d’ailleurs fort peu
nombreuses à Doha. Pour la première fois depuis Kyoto, la société civile est
quasiment absente. Et les négociations sérieuses qui ont commencé lundi dernier
et se sont peu à peu intensifié intensifier à partir de mardi avec l’arrivée
des ministres et des chefs de gouvernement se sont déroulées à l’abri des
regards et de la contestation. Non plus au rythme des textes qui circulent mais
à celui des rumeurs. Et ces dernières sont encore nombreuses vendredi soir au
moment où il semble apparaître que le Protocole de Kyoto sera prolongée, y
compris avec l’Australie, mais que le Fonds Vert destiné à aider les pays les
plus pauvres sera remis à plus tard...
Il n’aura pas
été question non plus, malgré les demandes pressantes des rares ONG présentes,
d’évoquer longuement la très rapide fonte des glaces de l’Arctique qui a
pourtant été confirmée il y a quelques jours par l’étude de 47 experts réunis
par la NASA et le professeur Andrew Shepered de l’université anglaise de Leeds.
Elle établi pourtant une relation entre cette fonte accélérée et l’occurrence
d’ouragan comme celui qui a récemment ravagé New York et la Côte est des Etats
Unis. Explication simple : les USA, la Canada et la Russie se réjouissent
de l’ouverture, une grande partie de l’année désormais, du passage du
Nord-Ouest pour leurs navires. Et pour leurs recherches pétrolières off shore
dans les eaux glaciales de ces régions.
L’Europe,
pour sa part, n’a jamais pu ni s’exprimer d’une seule voix ni disposer d’une
marge de discussion cette semaine, en raison de l’attitude de la Pologne qui a
décidé de bloquer toutes les avancées possibles pour conserver le droit
d’utiliser sans restriction ses réserves de charbon sans encourir la moindre
sanction.
Il n’aura
pas été question d’évoquer publiquement la reconnaissance par le HCR, le Haut Comité
des Nations Unies pour les Réfugiés, la question des « réfugiés
climatiques » déjà évalués à une cinquantaine de millions. Chiffre qui pourrait
atteindre 300 millions au cours des vingt prochaines années affirment les
experts du GIEC, le Groupement International pour l’Etude du Climat.
Des experts
qui, comme le Français Jean Jouzel arrivé ici dimanche, n’auront pas eu la
possibilité de faire distribuer dans la Centre de conférence, leurs plus
récentes analyses pour inciter à la société civile à faire pression sur les
politiques. Sous couvert de « modernité » et d’écologie, la décision
de l’ONU et du Qatar de supprimer le papier, s’apparente donc bien à une
censure...
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