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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

jeudi 16 octobre 2008

Fichiers de police: la fête à Edwige et salauds de jeunes

Jeudi 16 octobre

S’agissant d’Edwige, de sa petite soeur au nom imprononçable pour désamorcer intelligemment la contestation , ou des dizaines de fichiers qui traînent dans son sillage et s’accumulent sur nos existences et notre avenir, les adversaires les plus redoutables de ceux qui voudraient sauver un minimum de libertés ne sont ni le président de La République et ses obsessions sécuritaires, ni Michèle Alliot-Marie et son fouet policier, ni Brice Hortefeux et sa fausse bonhommie, ni les socialistes qui se s’indignent que lorsqu’ils n’en sont pas les inventeurs, ni la Sécurité sociale, ni les assureurs et banquiers maniaques qui veulent limiter leurs risques ou leurs dépenses en nous dépouillant avec la complicité des politiques de nos vies privées. Ce qui revient à faire de nous tous des coupables et des tricheurs potentiels. Tous ces gens qui surfent sur les peurs et les fraudes qu’ils inventent jour après jour, tablent sur l’indifférence de la jeunesse, des adolescents à qui nous n’avons pas su transmettre que notre intimité était précieuse, que la libre animation de la société civile était essentielle et que l’informatisation de nos vies n’était pas seulement un jeu.
Pour comprendre à quel point les jeunes ne s’intéressent pas à nos peurs, pour comprendre que ce pouvoir, celui là après les autres, joue sur du velours, il suffit d’aller sur Internet et de constater que des millions de jeunes y livrent leur intimité et éventuellement celles de leurs parents ou de leurs enseignants. Sans la moindre restriction puisque les promoteurs intéressés de la Toile et de ses multiples déclinaisons les ont convaincus que tout cela n’est qu’un jeu, qu’il s’agisse de conter ses obsessions ou celles d’un ami ou de piquer des chansons et des films d’une société faussement gratuite et libertaire.
Pour comprendre à quel point les adolescents ne s’intéressent pas à nos peurs, il suffisait il y a deux ans, de visiter en leur compagnie l’exposition de la Villette « Le corps identité ». Une exposition étalée sur des mois en raison de son succès et qui détaillait les mille et unes façon de nous ficher, de nous « reconnaître » ou de nous identifier. Fasciné par le cynisme de cet étalage de la meilleure façon de ne jamais être perdu de vue, un modeste panneau rappelant simplement au milieu des « machines à nous identifier » que la carte d’identité avait été inventé par Vichy pour y apposer la mention « Juif », j’y ai passé plusieurs jours. Pour tenter de nouer un dialogue avec les cohortes de scolaires, des beaux quartiers comme de la banlieue nord, venant s’amuser à découvrir les multiples aspects de la biométrie en compagnie de leurs enseignants indifférents et de guides de La Villette enthousiasmes. J’ai bien écrit s’amuser : impossible de les convaincre que derrière la reconnaissance de l’iris, de la pupille, de la voix, des empreintes digitales, de la forme de la main et l’enregistrement d’informations personnelles, préalable à la délivrance d’une carte d’identité chargée de ces repères, se cachent les risques d’un fichage définitif et, peut-être, parfait. Car au bout de la chaîne de l’exposition, chaque visiteur pouvait se voir délivrer un spécimen de carte d’identité à puce et à son nom, avec sa photo. Rigollot, ludique, où est le problème ?
Pour comprendre à quel point les politiques et les industriels de la surveillance et du fichage, car il s’agit aussi d’un marché fabuleux, visent à l’anesthésie des jeunes, il suffit de se référer au rapport interne du Gixel, l’association qui regroupe la majorité des marchands de surveillance et de fichiers. En 2004, examinant leurs marchés et leurs méthodes, ils écrivaient : « La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles et, en particulier l’usage de la biométrie. Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour les faire accepter. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité, par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes : éducation dés l’école maternelle, les enfants utilisant ces technologies pour entrer à l’école, introduction dans la consommation, le confort ou les jeux (...) Pour faire accepter les technologies de contrôle et de surveillance il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gêne occasionnée. Là encore l’électronique et l’informatique peuvent contribuer largement à cette tâche ». Et tous les documents postérieurs de cette association et des gestionnaires de fichiers insistent sur la nécessité, à travers l’outil internet, de d’abord convaincre les jeunes de l’innocuité des fichages et de leur aspect convivial.
Mission, hélas, réussie. Ceux qui ne sont plus jeunes, n’ont pas su transmettre face à un rouleau compresseur à la fois industriel et politique.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Moi qui en suis un justement, de jeune, n'ayant été élevé dans aucune sorte d'idéologie que celle de disposer de soi même et de faire ses propres choix envers et contre tout, je ne peux que constater les dégats susnommés et ce jusque dans ma salle de classe (terminale bac pro avec une année de retard et deux mal orientées). Tous mes camarades (ou presque) semblent omnubilés par la technologie et ses multiples nouveautés, de la polyvalence de l'Iphone (sacré mouchard de son état) à l'ancienne science fiction que sont les systèmes biométriques, ils sont unanimes sur un point: c'est quand même vachement plus pratique.
Etrangement (ou pas d'ailleurs), seuls les fumeurs d'herbes folles entretiennent un discours diamétralement opposé, à savoir qu'ils ne considèrent pas ces technologies comme émanant du progrès (censé servir l'humanité quand même), mais comme des outils utiles à son asservissement. C'est aussi mon avis, bien qu'ayant arrêté la fumette il y a quelques temps, et je pense ne pas aller trop loin en disant que si cette évolution continue dans ce sens, nous serons alors placé sous la coupelle d'un régime dictatorial.
J'ai 21 ans dans deux semaines et me demande sérieusement si ma jeunesse ne va pas être annihilée par des combats que je n'aurais jamais eu à mener dans un monde un tant soit peu juste et ouvert.

Anonyme a dit…

Ha oui et tant que j'y pense, wikipédia me dit qu'omnubilé n'est pas l'orthographe correct...et moi qui l'écris comme ça depuis toujours...

Anonyme a dit…

Pas grave, le désaccord avec wikipédia.
Le probléme, c'est que la fumette, elle finit aussi dans les fichiers policiers.
Mais il ne faut pas désespérer, tous les combats sont bons à mener et ils contribuent (au minimum) à l'hygiène mentale personnelle. Et ils ne sont jamais inutiles, jamais vain. Si j'avais pensé ainsi je ne serais pas en train d'achever ma carrière à Politis !
Bon courage, d'autant plus que le monde a toujours été changé par des minorités.
cmv

mains à plume & à charrue a dit…

je confirme Maxime, on peut en effet avoir "raison seul contre tous". Est-ce un aléa de la vie en commun? sans doute lorsque ce tout, au demeurant citoyen, est insuffisemment éveillé, vigilent & mesuré dans son rapport au monde. En tout cas, nombreuses sont les démocraties qui font peu de cas de leurs minorités - sous le totalitarisme on peut comprendre-. Dès lors, la dictature ne serait-elle pas protéiforme(financière au nord, politique au sud). En étant optimiste, on peut penser que d'ici à l'an 3000, la vigilence citoyenne aura fait suffisamment de chemin pour donner toutes les lettres de noblesse à cette belle et si attendue démocratie.

Anonyme a dit…

Pour rejoindre le clin d'œil au positivisme de Lucho, je me permettrais d'ajouter qu'il y en a, des jeunes qui réfléchissent... Non maxime, tu n'es pas seul de ton espèce. Ils sont peut-être rares, certes, mais ils existent. Au vu des 70 Strasbourgeois rassemblées au jour de la sainte Edwige, brandissant de fausses cartes d'identité et remplissant des fiches individuelles pour "faciliter le boulot de la police", on peut effectivement virer au défaitisme. En étant sympa, on ne comptera que le nombre d'habitant au centre ville... 18000 environ. C'est sur qu'à gueuler à 70, il fallait du courage. Alors où sont les autres? Où sont les jeunes?
Eh beh un peu enfumés, justement, par les masse-médias... Mais comme le monde ne changera pas en un claquement de doigt, autant s'accrocher à ceux qui descendent déjà, et tenter de rameuter ceux qui restent planqués bien au chaud, convaincus qu'ils ne sont pas concernés...
Amis de l'individualisme, bonsoir...