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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

samedi 10 mai 2014

Ukraine: entre mensonges et rumeurs

Article paru le 6 mai sur le blog des rédacteurs de Politis



                Depuis quelques semaines, dans plusieurs villes de l’Est ukrainien, mais plus particulièrement à Slaviansk, les armes surgissent de nulle part. Non pas les simples kalachnikovs qui trainent un peu partout en Ukraine comme en Russie, mais des lanceurs de missiles sol-sol et sol-air, des RPG (fusil lance-grenades), des mitrailleuses lourdes, des fusils-mitrailleurs, des grenades défensives quadrillées, des petits canons sans recul et quelques mortiers. A Slaviansk des blindés légers de provenance inconnue circulent depuis la mi-avril sans plaque d’immatriculation ou d’identification. Rien à voir avec l’équipement de gourdins et de barres de fer des cosaques et des manifestants pro-russes. Ceux qui organisent les manifestations devant les immeubles occupés ou bien parcourent les rues en pillant ou rançonnant. Toujours en expliquant que les commerçants ou les entreprises seront remboursées à l’arrivée des troupes russes. 

Les combattants en uniformes, mais toujours non identifiés, et une partie des miliciens qui tiennent les barrages autour de Slaviansk,  portent des gilets pare-balles tous neufs et utilisent des moyens de communications sophistiqués. Les rebelles, distincts des miliciens voués au maintien de l’ordre et à l’assaut de bâtiments, c’est à dire ceux qui se battent contre l’armée ukrainienne, assurent que l’essentiel de leur armement provient des casernes abandonnées. Les rares militaires organisés assurant l’occupation des lieux stratégiques, probablement Russes venus de Crimée ou ayant franchi discrètement la frontière dans la région de Louhansk, acceptent parfois de parler : ils racontent être venus en camions avec la majeure partie du matériel visible dans certaines villes. Mais ils expliquent aussi que ce matériel, souvent sophistiqué, n’est jamais utilisé par les milices pro-russes, même les mieux organisées ou les plus disciplinées. Quand cela est nécessaire, ce sont des membres de ces commandos supposés russes ou dépendant des forces spéciales de Moscou, qui sont « prêtés » avec leur matériel pour des missions définies à l’avance. Ce fut probablement le cas pour la destruction de deux ou trois hélicoptères des forces régulières ukrainiennes il y a quelques jours. Des informations qui tendent à prouver que la Russie, dont la modeste mais efficace présence est difficilement contestable, conserve un contrôle très strict de la situation, se conformant à des plans précis que seul Vladimir Poutine connait. De toute évidence, un dérapage éventuel ne peut pas venir de ces commandos. Il surgira plutôt des « miliciens » pro-russes dont les activités sont de moins en moins coordonnées et de plus en plus proches du gangstérisme.

Ces groupes incontrôlés et dopés à la vodka, effrayent autant les citoyens pro-russes, que les partisans d’une Ukraine unie ou ceux qui n’ont pas, à Slaviansk, Donetsk, Kramatorsk ou Odessa, d’avis vraiment tranché sur la question. D’ailleurs, les manifestations des uns et des autres, dans des lieux isolés ou devant les quelques bâtiments occupés, sont de plus en plus discrètes, rassemblent de moins en moins de gens. D’un côté comme de l’autre, les gens ont peur. Peur mal expliquée des « autres », peur du désordre, peur des pénuries qui pénalise déjà des centaines de milliers de personnes. Paola, trentenaire, jeune et jolie informaticienne de Slaviansk désormais au chômage ne rêve que d’un retour au calme : «  Mon père est ukrainien, ma mère est serbe, mais j’ai toujours vécu ici et en parlant les deux langues, même si je suis meilleure en russe. Je crois que des gens ont inventé ce qui nous arrive ; nous vivions en bonne intelligence, sans se poser de question sur les racines de l’autre, des amis, des collègues ou de commerçants chez qui nous allons. J’ai peur de ce qui peut se passer, car ma mère m’a raconté comment ça s’est passé dans son pays, comment les gens sont subitement devenus fous pour des questions de nationalités alors qu’ils parlaient des langues semblables et qu’ils vivaient et se mariaient ensemble depuis longtemps. J’ai peur qu’il nous arrive la même chose. Regardez ces bandes de déguisées en combattants, ils font n’importe quoi et ils vont profiter du désordre. Ce n’est pas notre armée ukrainienne qui nous sauvera. Ni les Russes qui jouent avec nous ».

L’armée ukrainienne, toujours aux portes de Slaviansk n’avance guère car elle a reçu comme consigne impérative d’éviter les victimes parmi les civils. Autrement dit, gagner sans combattre, ce qui n’est pas simple ! La consigne est la même pour les autres cités tenues par des groupes de rebelles et –ou- des commandos d’origine russe. Equation impossible : non seulement les « miliciens » des barrages sont des civils déguisés en militaires avec des treillis, mais de plus, des dizaines de civils sympathisants stationnent en permanence à proximité des ces barrages. Ensuite, comme les prises de villes ont été intelligemment conçues puisqu’elles se résument en fait à l’occupation, violente ou pacifique, de quelques immeubles, l’armée ukrainienne doit obligatoirement gagner les centres villes pour afficher des victoires symboliques. Elles passent par la reconquête de quelques immeubles devant lesquels des femmes et des enfants sont ou seront rassemblés.

Face à ces situations inextricables, tandis que leurs opinions publiques imaginent un orient ukrainien à feu et à sang alors qu’en dehors de quartier centraux sporadiquement agités, la vie continue, même si elle devient difficile en raison de la rupture des approvisionnements, les pays européens ne savent pas quoi faire et pas plus quoi dire. Comme l’a prouvé Laurent Fabius le 5 mai sur France Inter maniant une langue de bois que n’auraient pas renié les dirigeants de l’Union Soviétique. Le piège tendu par Poutine se referme parfaitement sur nos « démocraties ». Il met en évidence, au choix, leurs lâchetés, leurs impuissances, leurs dépendances au gaz ou leurs peurs des conflits. En bon Soviétique qu’il fut et reste, en  autocrate qui n’a pas de compte à rendre à une opinion publique (1) que toute initiative nationaliste met majoritairement en joie, le Président russe a parfaitement évalué l’incapacité occidentale à s’opposer à l’intervention de son pays. Il savait qu’il jouerait gagnant depuis la conquête armée d’une province de la République géorgienne en 2008: elle avait entrainé l’annexion de l’Ossétie du Sud en dépit de l’agitation médiatique de Nicolas Sarkozy et de Bernard Kouchner. Ils n’avaient pas fait reculer la Russie,  pas plus que Mitterrand puis Chirac n’avaient empêché l’annexion de le République d’Abkhazie.

Si les Ukrainiens avaient commencé à se tuer entre eux tous seuls, si une guerre civile avait embrasé le pays sans le concours d’une ingérence extérieure, les pays européens et les Etats Unis se seraient fait un devoir ou un « plaisir » d’intervenir. Ils l’ont prouvé en mettant un terme par une négociation éclair à la révolution de la place Maidan de Kiev qui tournait au massacre et en contraignant le président ukrainien à s’enfuir. Et que l’on ne vienne pas me raconter, comme le font les perroquets d’extrême-gauche et d’extrême droite qui ne se nourrissent que de complots aussi permanents qu’obscurs, que la Révolution de Maidan a été organisée par (au choix) l’OTAN, les Etats Unis, le Brésil, l’OSCE ou l’Europe. Cette explication venant de l’extrême gauche est surprenante car cette sensibilité française devrait saluer et approuver un mouvement populaire et spontané. Quant à l’extrême droite, les amis de Poutine, leur réaction est logique puisque le Front National s’est toujours fait une spécialité de montrer du mépris et de la méfiance envers le peuple qu’il manipule et utilise.

Donc, face à un Poutine armé de la certitude qu’il doit à terme reconstituer au moins une partie de l’Union soviétique, face à un Poutine qui ne croit qu’à la force et non pas à la démocratie, face à un Poutine qui sait que les pays occidentaux ne sont que capables que de glapir ou de faire les gros yeux, face à un président que le spectacle des 28 pays de l’Union européenne tentant en vain de se mettre d’accord amuse énormément, la France, les USA et bien d’autres vont laisser les Russes décider de l’avenir de l’Ukraine en sabotant l’élection présidentielle du 25 mai. Que cela se fasse au prix de la mort d’Ukrainiens unitaires et d’Ukrainiens pro-russes, ne dérange finalement personne. Par manque de courage, comme d’ailleurs en Syrie soutenue par la Russie, tout le monde laisse tomber les Ukrainiens de toutes obédiences pour les livrer au dernier tsar de Russie. Pourtant, j’ai pu le constater, les victimes expiatoires ne sont pas d’accord.
Mais rassurons nous, nous aurons du gaz pour nous chauffer pendant l’hiver prochain quel que soit le résultat du "réferendum arrangé" du dimanche 11 mai...

(1)    Des habitants de Saint-Pétersbourg ont été les seuls (c’était courageux) à manifester contre l’intervention de leur pays en Crimée et dans l’Est ukrainien

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