Ukraine: entre mensonges et rumeurs
Article paru le 6 mai sur le blog des rédacteurs de Politis
Depuis
quelques semaines, dans plusieurs villes de l’Est ukrainien, mais plus
particulièrement à Slaviansk, les armes surgissent de nulle part. Non pas les
simples kalachnikovs qui trainent un peu partout en Ukraine comme en Russie,
mais des lanceurs de missiles sol-sol et sol-air, des RPG (fusil
lance-grenades), des mitrailleuses lourdes, des fusils-mitrailleurs, des
grenades défensives quadrillées, des petits canons sans recul et quelques
mortiers. A Slaviansk des blindés légers de provenance inconnue circulent
depuis la mi-avril sans plaque d’immatriculation ou d’identification. Rien à
voir avec l’équipement de gourdins et de barres de fer des cosaques et des
manifestants pro-russes. Ceux qui organisent les manifestations devant les
immeubles occupés ou bien parcourent les rues en pillant ou rançonnant.
Toujours en expliquant que les commerçants ou les entreprises seront
remboursées à l’arrivée des troupes russes.
Les combattants en uniformes,
mais toujours non identifiés, et une partie des miliciens qui tiennent les
barrages autour de Slaviansk, portent
des gilets pare-balles tous neufs et utilisent des moyens de communications
sophistiqués. Les rebelles, distincts des miliciens voués au maintien de
l’ordre et à l’assaut de bâtiments, c’est à dire ceux qui se battent contre
l’armée ukrainienne, assurent que l’essentiel de leur armement provient des
casernes abandonnées. Les rares militaires organisés assurant l’occupation des
lieux stratégiques, probablement Russes venus de Crimée ou ayant franchi discrètement
la frontière dans la région de Louhansk, acceptent parfois de parler : ils
racontent être venus en camions avec la majeure partie du matériel visible dans
certaines villes. Mais ils expliquent aussi que ce matériel, souvent
sophistiqué, n’est jamais utilisé par les milices pro-russes, même les mieux
organisées ou les plus disciplinées. Quand cela est nécessaire, ce sont des
membres de ces commandos supposés russes ou dépendant des forces spéciales de
Moscou, qui sont « prêtés » avec leur matériel pour des missions
définies à l’avance. Ce fut probablement le cas pour la destruction de deux ou
trois hélicoptères des forces régulières ukrainiennes il y a quelques jours.
Des informations qui tendent à prouver que la Russie, dont la modeste mais
efficace présence est difficilement contestable, conserve un contrôle très
strict de la situation, se conformant à des plans précis que seul Vladimir
Poutine connait. De toute évidence, un dérapage éventuel ne peut pas venir de
ces commandos. Il surgira plutôt des « miliciens » pro-russes dont
les activités sont de moins en moins coordonnées et de plus en plus proches du
gangstérisme.
Ces groupes incontrôlés et dopés
à la vodka, effrayent autant les citoyens pro-russes, que les partisans d’une
Ukraine unie ou ceux qui n’ont pas, à Slaviansk, Donetsk, Kramatorsk ou Odessa,
d’avis vraiment tranché sur la question. D’ailleurs, les manifestations des uns
et des autres, dans des lieux isolés ou devant les quelques bâtiments occupés,
sont de plus en plus discrètes, rassemblent de moins en moins de gens. D’un
côté comme de l’autre, les gens ont peur. Peur mal expliquée des
« autres », peur du désordre, peur des pénuries qui pénalise déjà des
centaines de milliers de personnes. Paola, trentenaire, jeune et jolie
informaticienne de Slaviansk désormais au chômage ne rêve que d’un retour au
calme : « Mon père est
ukrainien, ma mère est serbe, mais j’ai toujours vécu ici et en parlant les
deux langues, même si je suis meilleure en russe. Je crois que des gens ont
inventé ce qui nous arrive ; nous vivions en bonne intelligence, sans se
poser de question sur les racines de l’autre, des amis, des collègues ou de
commerçants chez qui nous allons. J’ai peur de ce qui peut se passer, car ma
mère m’a raconté comment ça s’est passé dans son pays, comment les gens sont
subitement devenus fous pour des questions de nationalités alors qu’ils
parlaient des langues semblables et qu’ils vivaient et se mariaient ensemble
depuis longtemps. J’ai peur qu’il nous arrive la même chose. Regardez ces bandes
de déguisées en combattants, ils font n’importe quoi et ils vont profiter du
désordre. Ce n’est pas notre armée ukrainienne qui nous sauvera. Ni les Russes
qui jouent avec nous ».
L’armée ukrainienne, toujours aux
portes de Slaviansk n’avance guère car elle a reçu comme consigne impérative d’éviter
les victimes parmi les civils. Autrement dit, gagner sans combattre, ce qui
n’est pas simple ! La consigne est la même pour les autres cités tenues
par des groupes de rebelles et –ou- des commandos d’origine russe. Equation
impossible : non seulement les « miliciens » des barrages sont
des civils déguisés en militaires avec des treillis, mais de plus, des dizaines
de civils sympathisants stationnent en permanence à proximité des ces barrages.
Ensuite, comme les prises de villes ont été intelligemment conçues puisqu’elles
se résument en fait à l’occupation, violente ou pacifique, de quelques
immeubles, l’armée ukrainienne doit obligatoirement gagner les centres
villes pour afficher des victoires symboliques. Elles passent par la reconquête
de quelques immeubles devant lesquels des femmes et des enfants sont ou seront
rassemblés.
Face à ces situations inextricables,
tandis que leurs opinions publiques imaginent un orient ukrainien à feu et à
sang alors qu’en dehors de quartier centraux sporadiquement agités, la vie
continue, même si elle devient difficile en raison de la rupture des
approvisionnements, les pays européens ne savent pas quoi faire et pas plus
quoi dire. Comme l’a prouvé Laurent Fabius le 5 mai sur France Inter maniant
une langue de bois que n’auraient pas renié les dirigeants de l’Union
Soviétique. Le piège tendu par Poutine se referme parfaitement sur nos
« démocraties ». Il met en évidence, au choix, leurs lâchetés, leurs
impuissances, leurs dépendances au gaz ou leurs peurs des conflits. En bon
Soviétique qu’il fut et reste, en
autocrate qui n’a pas de compte à rendre à une opinion publique (1) que
toute initiative nationaliste met majoritairement en joie, le Président russe a
parfaitement évalué l’incapacité occidentale à s’opposer à l’intervention de
son pays. Il savait qu’il jouerait gagnant depuis la conquête armée d’une
province de la République géorgienne en 2008: elle avait entrainé
l’annexion de l’Ossétie du Sud en dépit de l’agitation médiatique de Nicolas
Sarkozy et de Bernard Kouchner. Ils n’avaient pas fait reculer la Russie, pas plus que Mitterrand puis Chirac n’avaient
empêché l’annexion de le République d’Abkhazie.
Si les Ukrainiens avaient commencé
à se tuer entre eux tous seuls, si une guerre civile avait embrasé le pays sans
le concours d’une ingérence extérieure, les pays européens et les Etats Unis se
seraient fait un devoir ou un « plaisir » d’intervenir. Ils l’ont
prouvé en mettant un terme par une négociation éclair à la révolution de la
place Maidan de Kiev qui tournait au massacre et en contraignant le président
ukrainien à s’enfuir. Et que l’on ne vienne pas me raconter, comme le font les
perroquets d’extrême-gauche et d’extrême droite qui ne se nourrissent que de complots
aussi permanents qu’obscurs, que la Révolution de Maidan a été organisée par
(au choix) l’OTAN, les Etats Unis, le Brésil, l’OSCE ou l’Europe. Cette
explication venant de l’extrême gauche est surprenante car cette sensibilité
française devrait saluer et approuver un mouvement populaire et spontané. Quant
à l’extrême droite, les amis de Poutine, leur réaction est logique puisque le
Front National s’est toujours fait une spécialité de montrer du mépris et de la
méfiance envers le peuple qu’il manipule et utilise.
Donc, face à un Poutine armé de
la certitude qu’il doit à terme reconstituer au moins une partie de l’Union
soviétique, face à un Poutine qui ne croit qu’à la force et non pas à la démocratie,
face à un Poutine qui sait que les pays occidentaux ne sont que capables que de
glapir ou de faire les gros yeux, face à un président que le spectacle des 28
pays de l’Union européenne tentant en vain de se mettre d’accord amuse
énormément, la France, les USA et bien d’autres vont laisser les Russes décider
de l’avenir de l’Ukraine en sabotant l’élection présidentielle du 25 mai. Que
cela se fasse au prix de la mort d’Ukrainiens unitaires et d’Ukrainiens
pro-russes, ne dérange finalement personne. Par manque de courage, comme d’ailleurs
en Syrie soutenue par la Russie, tout le monde laisse tomber les Ukrainiens de
toutes obédiences pour les livrer au dernier tsar de Russie. Pourtant, j’ai pu
le constater, les victimes expiatoires ne sont pas d’accord.
Mais rassurons nous, nous aurons
du gaz pour nous chauffer pendant l’hiver prochain quel que soit le résultat du "réferendum arrangé" du dimanche 11 mai...
(1)
Des habitants de Saint-Pétersbourg ont été les
seuls (c’était courageux) à manifester contre l’intervention de leur pays en
Crimée et dans l’Est ukrainien
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire